JAPMANGA

Les salarymen

Après des études longues et laborieuses, le jeune adulte se met en quête d'un bon travail. L'obtention d'une embauche représente pour un Japonais l'événement majeur de sa vie, car le travail correspond ici au mariage, le surpasse même. On n'entre pas dans une entreprise, on l'épouse pour le meilleur et pour le pire.

On porte fièrement l'uniforme, on s'y dévoue corps et âme, on est conditionné par les valeurs que l'entreprise veut véhiculer, car le seul prestige de l'individu découle le plus souvent de son appartenance à sa firme. La signature de l'employé au bas du contrat équivaut donc à une promesse de fidélité, semblable au serment d'allégeance du samouraï envers son maître tout puissant. En échange de ce dévouement à vie, la firme ne se contente pas d'offrir la sécurité de l'emploi, une promotion lente mais assurée, un salaire convenable. Elle va prendre sous son aile protectrice tous les salarymen (salariés disciplinés), tel un père pour ses enfants. Ce système patriarcal est constitutif de la mentalité confucéenne qui implique un profond respect pour les anciens et en retour ces derniers partagent leurs expériences professionnelles et sociales avec le jeune employé.

Tous les matins le directeur, ou tout simplement le chef de section, réunit ses troupes et les exhorte à plus d'efforts, invitant chacun à contribuer au succès de l'entreprise.

Le dévouement doit être total et les employés doivent mettre tout en œuvre pour faire entrer l'entreprise dans le XXIème siècle. Au Japon, non pas l'homme lui-même mais la réalisation parfaite d'une technique est considérée comme un dieu. Cette conception subsiste en profondeur: si un travailleur nippon s'investit complètement dans son travail, et apporte par exemple des améliorations à une machine complexe, il contribue ainsi au succès de son entreprise. Il sera alors nommé dieu de la machine, qui en japonais est un terme préconçu pour cette occasion. Ce n'est pas un hasard si les cercles de qualités ont vu le jour au pays du soleil levant.

Dans les mangas de science-fiction, robotisés à outrance, les contextes évoqués expriment unanimement l'omnipotence de la haute technologie et le dépassement des limites de l'être humain. De plus, l'environnement qui entoure ces histoires est presque essentiellement batailleur. On y voit s'affronter trois catégories de belligérants: les humains, les robots et les extraterrestres. Les pouvoirs extraordinaires que possèdent les humains dans les mangas exhortent l'homme de tous les jours à se surpasser pour le bien de la planète, de l'univers.., de l'entreprise.

Mais le chemin qui mène à une carrière prometteuse implique de nombreux sacrifices. Pour le moment, le rythme de travail du Japonais prime sur celui de la vie privée, pratiquement inexistante selon nos critères européens.

La journée d'un salarymen débute en général à 7h00 du matin. Après un petit déjeuner avec ses enfants (seul instant où ils sont tous réunis), le père quitte son domicile pour affronter les transports en commun bondés. Deux heures en moyenne de trajet, avant de parvenir enfin à son lieu de labeur. Il y restera jusqu'à 18h00 au minimum. En effet au minimum, car en moyenne un Japonais fournit 202 heures supplémentaires par an contre 78 en Europe, ces heures supplémentaires sont d'ailleurs moins bien rémunérées que pendant le reste de la journée.

Après une dure journée, notre travailleur flâne dans les bars de la ville avec des collègues et l'alcool aidant, il se purge de toutes les frustrations à l'égard de son patron, de certains collègues ou tout simplement de la société. Au fil des pages, sous l'emprise de la fureur, l'homme de Gamma, se transforme en un être doté de pouvoirs surnaturels et se venge sur ses supérieurs. Yasushiro Yamamoto, l'auteur du manga confie que "beaucoup de gens pensent la même chose que Gamma, mais ils ne peuvent pas exprimer leurs pensées, leurs faiblesses ou doutes. Il y a de nombreuses choses qu'ils ne peuvent même pas confier à leurs meilleurs amis tellement la pression sociale est forte et envahissante."

Au Japon le droit de grève est un peu particulier, les employés mécontents n'arrêtent d'aucune façon leurs tâches, mais plutôt ils enfilent un brassard noir autour de leur bras en signe de protestation. Ou encore une salle de gymnastique est souvent présente dans les grandes entreprises, avec à l'intérieur une poupée grandeur nature du directeur. Quelques minutes par jour les travailleurs s'éclipsent de leur bureau et s'en vont se défouler avec un long manche en bois sur l'effigie du patron.

Les Japonais sont conditionnés par leur rythme de vie effréné. Comme pour tout le reste l'individu compte peu, par contre la collectivité (l'entreprise) est vue comme l'essentiel. Cette philosophie permet une exploitation presque volontariste de la part de tous les Nippons. Le Japon est le pays où le sens du sacrifice, le conditionnement par la volonté et le stoïcisme, sont les ultimes vertus de l'héroïsme. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer le nombre d'heures effectuées en une année: 2152 heures par an; en Allemagne ce nombre se chiffre à 1613, soit 40% de moins.

La notion de congés diffère également de celle des Occidentaux. Un conducteur de train bénéficie chaque année, près de 108 jours de congés par an, c'est-à-dire presque uniquement les week-end.En 1987, le ministère du Travail a publié dans les journaux une enquête, révélant que seules 28,2% des entreprises de plus de trente personnes appliquent la semaine de cinq jours. La moyenne annuelle des congés payés était de 14,9 jours, mais la moyenne des congés réellement pris n'était que de 7,5 jours, en 1988. En effet, prendre de longues vacances, c'est s'attaquer à l'un des fondements traditionnels de la morale japonaise qui tend à faire du travail la vertu sociale par excellence.

Mais cette course à la production a ses limites. Dans les trains ou les métros, des dizaines d'hommes et de femmes profitent de ces quelques instants de répit pour s'assoupir. Pire encore un nouveau terme est apparu dans le vocabulaire japonais. Le terme karõshi, mis en circulation dans les années 80, veut dire mort par épuisement total au travail. Chaque année près de 10 000 salariés en sont victimes. Finalement les gens commencent à ne plus accepter cet état des choses et portent plainte. Mme Ishii Sachiko, veuve à 47 ans d'un employé de Mitsui, a reçu un dédommagement de 7 200000 Bef pour le décès de son mari, qui a effectué huit voyages à Moscou en dix mois et est décédé d'une crise cardiaque. Le karõshi serait-il une nouvelle forme de seppuku (hara-kiri)?

Mais les nouvelles générations tentent à oublier l'abnégation envers le travail, qui caractérise le monde de leurs parents et refusent de refouler leur individualité au profit du bien commun. La crise asiatique, l'apparition du chômage (alors inexistant), la corruption dans les hautes sphères de la politique sont autant d'événements qui pousseront un jour les jeunes à modifier radicalement, non seulement la vie professionnel du Japon, mais également toute la philosophie (la société) sous-jacente.

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