La lente révolution des
femmesLe
statut de la femme s'est nettement amélioré dans l'après-guerre. L'article 14 de la
constitution promulguée en 1946, stipule "qu'il n'y aura aucune discrimination
dans les relations politiques, économiques ou sociales, en raison de la race, de la
religion, du sexe, du statut social ou de l'origine de la famille."
Désormais, il y a une égalité entre la femme et l'homme face à la loi. Mais les discriminations subsistent toujours dans la pratique. Un sondage effectué en 1987 à l'initiative du premier ministre démontrait que la moitié de la population interrogée, pensait que la femme ne disposait pas des mêmes droits que l'homme. Et cela s'avère exact dans presque tous les domaines de la vie sociale. En effet, entre la fin de ses études et la date de son mariage, dont l'âge limite est fixé par convention entre 25 et 27 ans, la jeune femme exerce un emploi de fleur de bureau, c'est-à-dire un travail de figurant; elle sert le thé à son patron et à ses clients et ce, peu importe le diplôme obtenu. Les entreprises encouragent vivement les femmes à quitter leur poste pour se consacrer à la vie familiale. De plus leur salaire est généralement de 50% inférieur à celui des hommes. Et bien qu'elles constituent près de 40% de la population active, elles restent cantonnées dans des tâches subalternes, notamment dans des ateliers d'assemblage, qui ne peuvent être robotisés. Des métiers comme le journalisme d'agence de presse leur sont interdits, ou plutôt c'est l'accès au concours de recrutement qui leur est proscrit. Lorsque les enfants sont en âge de se débrouiller seul, les mères de 40 ans retrouvent un emploi précaire.Même si l'égalité au poste de travail est instituée par une loi de 1986, les conservateurs et les chefs d'entreprises ont rendu cette loi caduque. En ce qui concerne la femme au foyer, elle prend toute la responsabilité de sa maison: elle s'occupe de la gestion du foyer et de l'éducation des enfants. Ce rôle de chef de famille élimine les frustrations qu'une femme peut avoir dans la société. C'est sans doute pour ces raisons que le féminisme nippon n'a jamais été aussi actif que dans les pays Occidentaux. Par ailleurs, la pilule contraceptive est strictement interdite et les avortements très fréquents: chaque année 500 000 femmes se font avorter. Elles prient alors leurs enfants sous la forme d'une statuette qu'on nomme, jizõ. La tradition japonaise veut que la femme soit sous la tutelle du père pendant l'enfance, du mari durant son mariage et de ses fils après son veuvage. Difficile dés lors de se faire une place dans une société machiste. Un proverbe japonais dit:" une femme et un tatami sont mieux neufs." Un homme peut donc avoir une aventure, généralement dans des hôtels (love hôtels) à cet effet, lorsque l'épouse vieillit. Par ailleurs, les hommes ne sortent jamais, sauf au restaurant et pour une bonne occasion, avec leur femme, préférant aller boire un verre avec des collègues de travail. A cet effet la femme est volontiers surnommée okuson (celle qui reste à la maison) tandis que l'homme est appelé shusin (le maître). Même en ce qui concerne le mariage, beaucoup de femmes n'ont pas leur mot à dire. Aujourd'hui encore un mariage sur trois est arrangé. A l'époque des samouraïs, une fille bien née ne se mariait pas, on la mariait: un entremetteur, le nakodo, s'occupait des transactions. Lorsque la transaction était envisageable, on autorisait les deux époux à se rencontrer. Le premier devoir consistait à échanger des présents qui scellaient l'accord. Pour ratifier la cession de leurs droits et pour empêcher que la fiancée s'échappe, les parents faisaient noircir les dents de la promise. Mais pour 80% de la population féminine, ses moeurs "de civilisés" n'existaient pas. Les jeunes avaient accès à des maisons ouvertes où ils pouvaient se rencontrer sur un pied d'égalité. C'est le code civil de 1896 qui supprima ses usages pour finalement adopter les coutumes des samouraïs à toutes les classes de la société. La modernisation du Japon a surtout été la "samouraïisation" du Japon. Dès lors, il n'a plus été question de réinventer l'amour, mais de marier des grosses fortunes. Ce sont aujourd'hui des entreprises qui organisent tous les préparatifs du mariage, de la liste des cadeaux à la lune de miel. Elles organisent en moyenne quarante cérémonies par jour, facturées 500 000 francs le mariage. Mais dans cette société moderne, toujours en plein essor, s'évalue désormais les enjeux d'un équilibre entre le masculin et le féminin, les rôles de la femme et de l'homme, celui de la mère et du père, au sein d'une cellule familiale décomposée où l'image paternelle est en déperdition. Aujourd'hui de nombreuses femmes ne désirent plus reprendre leur rôle dans le foyer, mais elles ont une conscience aiguë de leur spécificité et de leur différence avec les hommes. Elles ne souhaitent pas entièrement perdre leur place initiale et elles ne semblent pas non plus prendre celle des hommes, le prix semble élevé. Pour mener une carrière, elles doivent s'imposer dans une société dirigée par et pensée pour les hommes. Pour prouver leur engagement au travail, elles doivent renoncer à faire des enfants. Ainsi rares sont les compagnons assez libéraux pour accepter une telle présence à leur côté. Mais après des siècles de confucianisme, exaltant la misogynie, une nouvelle identité spécifiquement japonaise de l'homme et de la femme commencerait-elle à émerger au pays du soleil levant? La place de la femme dans le manga semble suivre le cours de l'histoire de la femme dans la société japonaise en général. Dans un passé encore proche, la femme est dans l'ombre, il lui arrive d'être au côté du héros viril et de lui servir de faire-valoir: elle sera faible, désemparée, amoureuse et naïve, objet à secourir. Lorsque l'intrigue lui laisse une place plus active, elle est aussitôt travestie par les représentations masculines du héros. Aujourd'hui, elle a acquis une place d'égalité et pour maintenir la légitimité de son genre, les dessinateurs ont cru bon de renforcer ses galbes musclés. Dans les mangas, les hommes ont une apparence plus homogène et leurs métamorphoses en font souvent des robots ou des monstres. Mais les femmes ont toujours plusieurs visages, elles sont tour à tour des femmes enfant, sexy, guerrière, superwomen ou garçon manqué. D'autres part, les femmes prennent souvent une revanche éclatante sur les hommes et sur les valeurs traditionnelles de la société. Dans Dragon Ball, Chichi, épouse du héros Son Goku, incarne l'épouse traditionnelle - une mégère aux préoccupations exclusivement matérialistes (son mari et ses enfants ne sont autorisés à sauver le monde qu'à condition de finir repas et devoir). Elle est distanciée de loin dans le cur du public par Bulma, éternelle adolescente revêche à toute autorité, notamment masculine; ce qui n'en fait pas pour autant un être asexué, puisqu'elle aura, au cours de la série, un époux et deux enfants sans pour autant renoncer à son indépendance. Et devant cette évolution irréversible de la femme moderne, l'homme se replie sur des fantasmes pédophiles. Les salarymen sont friands de ces mangas dont l'objet de désir est une enfant ou de manga sado-maso où ils font payer à la femme le désarroi de l'homme déchu. |