La violenceLe Japon est le pays
industrialisé au monde où la criminalité est la plus basse. Les statistiques
démontrent qu'il y a actuellement 1,4 meurtre pour cent mille habitants, contre 10,8 aux
USA. Elles révèlent également qu'au Japon toutes les 23 minutes 40 secondes quelqu'un
se donne la mort. En 1960, le Japon, avec l'Allemagne de l'Est était le pays le plus
suicidaire du monde, avec 2800 suicides d'enfants âgés de moins de douze ans: époque
où la télévision était moins répandue et où les mangas étaient des cartoons
américains. Même si le chiffre apparaît toujours important, en 1980 on n'en compte plus
que huit cents. Depuis les années 90 le suicide des jeunes de moins de 19 ans représente
le taux le plus bas et celui des personnes âgées de plus de 60 ans le taux de suicide le
plus élevé.
Frederik L. Schodt, auteur de livres qui font référence dans le domaine du manga, n'hésite pas à mettre en parallèle le taux de criminalité du Japon et des USA et leur consommation respective de bandes dessinées.Selon lui, il y aurait un lien étroit entre ces deux phénomènes. Le phénomène manga n'est pas uniquement générateur d'activité économique, mais aussi d'une mythologie nouvelle: les personnages de mangas, héros du banal comme de l'extraordinaire, sont les archétypes dont la force et la faiblesse tout humaine se dévoilent sans concession à la morale. S'il est vrai que le manga est parfois violent, il exprime une brutalité qui s'assume en tant que telle, sans servir une finalité moraliste: que les sujets soient érotiques, romantiques ou guerriers. Au Japon, les chercheurs écrivent que la violence exprimée dans les mangas ne semble pas avoir d'incidence directe sur le comportement des enfants; qu'elle permet de conjurer la violence dans la cité. Mais l'affaire Tsutomu Myazaki a mis à mal cette théorie(voir Otaku). La violence exprimée dans les mangas est variable: elle peut aller d'un coup apporté au visage d'un ennemi à des détails minutieux sur le déchiquetage d'un corps humain. De plus, quand la violence n'est physique, elle est psychologique. Certains mangas relatent des tortures psychologiques envers des personnes plus faibles (souvent des écoliers) et les poussent inévitablement au suicide. Souvent sadique et incompréhensible pour nous occidentaux, la violence n'est pas propre au manga. Des auteurs populaires japonais ont toujours exploré l'univers de la violence et de la souffrance, tel Yamada Futaro dont le roman Yagyo Ninpocho décrit avec détails à l'appui les meurtres de 23 épouses de conseillers qui se sont opposées aux caprices de leur maître. Au fond, ce qui choque les occidentaux, ce n'est pas tant la représentation de la violence ou de la souffrance (on la trouve dans de nombreuses publications européennes), c'est le fait que l'on en parle aussi librement dans des récits qui s'adressent à un public jeune. Les mangas ne sont pas aussi aseptisés et manichéens que la moyenne des productions occidentales: Popeye et Brutus se battent à longueur de journée, sans qu'aucun des deux en pâtissent; Jerry lance une enclume sur la tête de Tom qui en ressort avec une bosse, mais sans plus. Dans un manga, lorsqu'on se prend un coup, on le sent. Plus généralement, le bien et le mal ne sont pas autant caricaturés que dans les dessins animés occidentaux. On trouve bien sûr des gentils et des méchants mais les auteurs de mangas font preuve d'un peu plus de psychologie: les méchants peuvent parfois devenir le plus précieux des alliés, changer de camp, se repentir ou être pardonnés tandis que le héros peut parfois faire preuve de ses plus vilains défauts. Enfin, si effectivement on ne souffre pas beaucoup chez Walt Disney, contrairement à certaines bandes dessinées japonaises (et dessin animés); dans les mangas on y fait bien autre choses qui ne se déroulent pas à "Mickey-ville" : se remettre en question, faire des choix, naître, aimer, avoir une famille, mourir... Mais il est intéressant de s'interroger sur ces questions: étant entendu que les mangas les plus violents qui s'adressent aux jeunes adultes ne passent à la télévision qu'après deux heures du matin, pourquoi les diffuseurs européens les diffusent-ils vers quatre heures de l'après-midi? Si nous pensons que la sélection de mangas qui nous est présentée n'est pas adaptée à notre culture (ni à un certain âge), pourquoi ne pas régir une censure qui condamnerai, non pas les films mêmes, ni le pays d'où ils viennent, mais le choix des promoteurs pour des films culturellement inappropriés. Pour quelles raisons, au lieu de subir la relative "mauvaise" influence du marché télévisuel japonais, nos diffuseurs ne présentent-ils pas la somme considérable de mangas intelligents et créatifs, qui sont à la portée du consommateur japonais et complètement méconnus du public européen? En 1986 Dorothée, alors directrice des programmes pour la jeunesse sur TF1, ramène dans ses valises une avalanche de dessins animés nippons: Les chevaliers du Zodiaque, Dragon Ball, Juliette je t'aime, Ken le Survivant... Aussitôt diffusés, aussitôt censuré. La plupart des dessins animés réservés au petit écran comptent près de 25 minutes par épisode. Les organisations de parents étaient justement indignées devant la violence affichée de certains mangas: on a dès lors effectué des coupures et finalement la diffusion ne durait pas plus de 17 minutes, avec toutes les conséquences que ça peut engendrer dans la compréhension de l'histoire. Un manga en particulier, Ken le Survivant de Tetsuo Hara, a été sujet à beaucoup de polémique. Ce manga ultra violent montrait, avec détails à l'appui, comment un homme avec le simple fait de toucher son ennemi parvenait à le faire gonfler puis exploser avec tous les effusions de sang que ça implique. Ce manga n'était diffusé au Japon qu'à partir de deux heures du matin ,alors qu'en France il était servi à l'heure du goûter. Depuis cette affaire, les mangas ont très vite été assimilés comme violents et dangereux pour nos sociétés. Les détracteurs ont fustigé la bande dessinée japonaise, sans pour autant tenter de comprendre sa culture, ni le mode de consommation de mangas. Au Japon le manga n'est pas uniquement destiné aux enfants. Le dessin est en moyen de communication commun à tous les Nippons et pas uniquement un moyen ludique pour passer le temps. Résultat, plus aucun manga n'est diffusé à la télévision (excepté sans famille, adaptation du roman d'Hector Malot) et nos petites têtes blondes s'abreuvent avec des tortues ninja et Power rangers (tous deux américains), qui, il est vrai, sont légèrement moins violent, mais également complètement stupide. Par ailleurs, depuis cette époque les maisons d'éditions ont commencé à s'intéresser à cette nouvelle forme de BD. En 1988, Glénat entreprend de traduire et d'imprimer le manga de Katsuhiro Otomo, Akira. Le succès public est considérable et pour la première fois de sa courte histoire, le manga n'est plus systématiquement dénigré par la critique. D'autres éditeurs ont emboîté le pas, Casterman, Delcourt, Les Humanoïdes associés, Dargaud, d'autres maisons d'édition se sont créées: Tsuki poche, Manga Player, Dynamic Visions, Tonkam. Le succès ne s'est jamais démenti (plus d'une centaine de parutions) et le manga, plus qu'un effet de mode, est devenu une valeur sûre au point de vue économique et artistique. En effet la France (Belgique incluse) est le deuxième consommateur de mangas au monde, supplantant ainsi les pays qui orbitent autour de l'Archipel. Sans oublier que de nombreux auteurs européens et surtout américains sont influencés par la technique de dessin des Japonais. Ainsi Baru, célèbre dessinateur français, a publié L'autoroute du Soleil, dans le magazine Morning et il a plus tard été repris par Casterman. |