Rêve et réalitéAu Japon plus qu'ailleurs rêve
et réalité sont dichotomiques: le rêve c'est l'autre, ce qui vient d'ailleurs. Le
sujet ne s'abandonne pas dans le rêve en se coupant de la réalité, c'est en quelque
sorte une approche pragmatique de la vie. Les mangas sont utilisés comme un exutoire,
les lecteurs peuvent ainsi s'échapper d'une vie codifiée à outrance et somme toute
monotone.
Les yeux des héros de mangas ne sont, pour la plupart, pas bridés; les paysages urbains où ils évoluent sont souvent indistincts. Par ses choix, le mangaka ne tente pas de séduire l'Occident, car il est établi que le succès commercial du manga ne dépend pas du marché extérieur; les dessinateurs favorisent la suggestion du rêve par l'apparence de l'étranger, qui est au Japon par excellence l'image même du rêve ou du désir. Lorsque sont posés par le dessin les indices de cet ailleurs, tous les scénarios sont alors possibles, sans pour autant mettre en danger la réalité. Dans Ranma ½, de Rumiko Takashi, le héros se transforme en fille lorsqu'il est aspergé d'eau froide et redevient lui-même sous l'action de l'eau chaude, le père se transforme en panda et un ami en petit cochon, sans que l'auteur se sente obligé de nous donner de grandes explications scientifico-magiques pour excuser l'audace du scénario. Beaucoup de mangas ne s'encombrent pas de soucis de réalisme ou de cohérence. Ils nous racontent une histoire, comme celles que l'on invente parfois pour ses enfants, où l'intrigue se plie à l'imaginaire. C'est cette liberté qui permet en partie au spectateur, même le plus jeune, d'avoir une distance avec le récit qu'on lui fait. On lui montre clairement que c'est pour du faux, que "c'est pour rire". Ce discernement entre rêve et réalité serait le moyen pour éviter le passage à l'acte qui préoccupe tant les Occidentaux face à la violence affirmée dans certains mangas. Le manga est accepté par la société nipponne comme un lieu d'exutoire, de rêve, perçu sans conséquences négatives, voire au contraire comme garde-fou du passage à l'acte. |