JAPMANGA

L'écriture

Tout comme un cinquième de la population mondiale, le Japon n'utilise pas une écriture alphabétique mais idéographique.

C'est au 5ème siècle que le Japon adopte l'écriture chinoise, système complexe qui représente chaque idée par un symbole ou par la combinaison de plusieurs signes conventionnels.

Le nombre exact d'idéogrammes (ou ganji) varie selon les sources, il en existerait entre trente et quarante mille. Précisons que sur les 1850 ganji de base (importé directement de Chine), le ministère de l'éducation impose aux élèves sortant de l'école primaire la connaissance parfaite de 881 d'entre eux.

Comme pour tout ce que le Japon a importé, il a ressenti le besoin d'améliorer l'écriture pour l'adapter au mieux à sa culture. En effet, le Chinois ne possède ni conjugaison, ni genre, ni pluriel et se base sur le contexte et sur divers artifices pour indiquer la fonction du mot dans la phrase.

Les Japonais établirent donc un alphabet auxiliaire comportant toute une série de prépositions, de particules et de suffixes, qui vinrent se greffer sur les idéogrammes originaux. Pour reprendre l'exemple du cheval, c'est comme si les Japonais y associaient la lettre "s" pour former le mot écurie et la lettre "e" pour désigner la jument.

En plus de son propre vocabulaire, le Japon emprunta au continent toutes sortes d'expressions, sans en transformer la prononciation ou en ne la modifiant que très superficiellement. La plupart des idéogrammes peuvent se prononcer de différentes manières. Certains caractères admettent jusqu'à huit lectures possibles sans qu'aucune règle ne puisse déterminer avec certitude la manière de les lire. Par exemple, le vocable chinois shi a plusieurs significations, parfois très éloignées les unes des autres. Il exprime tour à tour: savoir, être, puissance, monde, serment, quitter, mettre, affaire, aimer, voir, veiller sur, compter sur, marcher, essayer, expliquer, maison, etc.

Mais le Japon ne s'arrête pas là, il importe des mots tout fait de l'allemand, de l'anglais , du français... Il préfère les transcrire phonétiquement plutôt que de les traduire à l'aide d'idéogrammes et il crée donc un troisième alphabet de secours, le katakana. Par exemple, le mot arubaito vient de l'allemand "arbeit" (travail) et désigne le job étudiant.

Historiquement, on suppose que le but premier de recourir à cette forme de dessins, même stylisés, était de l'ordre magico-religieux. Pour eux, comme pour les Chinois, le dessin est un mode d'appréhension des êtres et de leur essence tout aussi efficace que le verbe. Si bien que l'écriture n'était pas, au début, ce qu'elle est aujourd'hui pour nous, une sorte de décalque de la parole, mais bien un mode d'expression différent et parallèle. La parole était adressée aux divinités du visible, au culte des ancêtres et l'écriture était surtout destinée aux puissances punitives et vengeresses du monde invisible. Dans les civilisations où l'écriture a évoluée vers un alphabet, c'est le verbe qui a concentré en lui toutes les puissances de la création religieuse. Au contraire, au Japon, il est intéressant de remarquer que cette valorisation du verbe, de la parole, de la syllabe, n'existe pas.

Malgré cette écriture fort complexe, remarquons cependant que le Japon détient le taux d'illettrés le plus bas de la planète (0,2%). Les Japonais ont toujours été friands de lecture et ce, même lorsque l'alphabétisation n'était pas généralisée; à défaut de savoir lire, les illettrés se nourrissaient d'éditions illustrées.

Cette écriture, qui a pourtant contribué de façon très importante à l'esprit et à la mentalité nipponne, constitue de plus en plus un obstacle sérieux pour les Japonais.

En effet, elle est de plus en plus inadaptée à la vie moderne; impropre aux communications internationales, incapable d'exprimer la rigueur scientifique, elle est prise de court devant la moindre évolution des techniques contemporaines. Il va de soi, que de nombreux Japonais spécialisés dans leur domaine maîtrisent cependant l'alphabet romain.

A cet effet, de nombreux progressistes souhaitent donc l'adoption de notre alphabet romain, ce mouvement se nomme le roman-ji. Cependant, mis à part son coût prohibitif, une telle reforme risque d'avoir de très graves conséquences sur le patrimoine culturel du pays et sur cet isolement linguistique auquel les Nippons doivent une partie de leur remarquable homogénéité. De plus, la transcription totale du japonais en lettres latines reste improbable vu la difficulté de différencier les homonymes.

Le Japon est fasciné par l'image: un mot écrit peut se substituer à toute représentation de la personne, de l'idée ou de la chose qu'il désigne. Dans les cabarets, par exemple, la seule vue de l'idéogramme (amour) projeté sur un écran peut soit bouleverser ou faire jouir le spectateur. Qu'en sera-t-il de la psyché japonaise si l'alphabet chinois venait à se simplifier pour finalement disparaître et adopter l'alphabet romain: la simple voyelle A, telle qu'on peut la lire dans un manga pour exprimer un cri de jouissance, produira-t-elle à long terme le même effet d'union entre les Japonais?

Si dans les bulles des mangas les trois alphabets peuvent apparaître, en revanche c'est le katakana, au tracé anguleux, qui sera utilisé pour les onomatopées. La "bande son" des mangas est impressionnante. Si une action est très bruyante, les onomatopées peuvent envahir et même dépasser le champ des cases. De même, ces signes suivent les trajectoires rapides des personnages et des machines, complétant ainsi le mouvement en dynamisant le dessin.

Une autre particularité, qui se différencie de la bande dessinée européenne, réside dans le fait que les actions qui n'émettent généralement aucun bruit sont souvent soulignées par des éléments de bruitage graphique. Ainsi la neige qui tombe ou un petit objet qu'on jette, le fait de se lever ou de tourner la tête sont autant de raisons génératrices d'onomatopées.

Les mangakas ont également apprivoisé le silence. Le nombre de cases muettes est très élevé, non seulement dans les scènes de combats où il est inutile d'interrompre les ébats avec des mots, mais également dans les scènes de dialogues plus statiques. Ce silence est caractérisé soit par l'absence de bulles, soit par des bulles remplies de points de suspension; lorsque le personnage, par exemple, désireux de s'exprimer ne trouve pas les paroles adéquates. De même l'irruption de souvenirs ne nécessite jamais des flash backs comme dans la plupart des bandes dessinées; on y verra plutôt un personnage, les yeux fermés, qui réfléchit et qui expliquera en temps voulu son introspection.

On est conscient que la bande dessinée restitue difficilement le rythme d'un dialogue, car celui-ci est écrit; néanmoins, avec son découpage analytique, d'une part, et la fréquence des pauses et des échanges verbaux, d'autre part, le manga approche d'assez près une certaine vérité à cet égard.

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