La langueLa langue officielle, le
japonais, est partagée par l'ensemble de l'archipel et contribue sans doute à
l'homogénéité et à la cohésion de l'ensemble de la population. Même si le Japon a
adopté le système d'écriture chinois, la langue n'a en rien été influencée.
L'idéogramme représentant un cheval, par exemple, est commun aux deux peuples, mais ils le désignent par une expression verbale tout à fait différente. D'un tempérament intuitif qui s'oppose radicalement à notre esprit cartésien, la langue japonaise vise plus à suggérer qu'à préciser; elle conduit à l'interprétation plutôt qu'à la compréhension, les détails se perdant dans une fourmilière d'à-peu-près, de nuances, d'amoindrissement, de doubles négations, d'allusions à l'infini. Les propositions utilisées varient fortement selon le rang hiérarchique de l'interlocuteur et également selon que ça soit la femme ou l'homme qui les prononcent. Le Japonais est passé maître pour exprimer un sentiment ou pour contourner un écueil psychologique. En outre, le Japonais apprend dès l'enfance à s'exprimer en termes vagues, afin d'éviter toute phrase trop directe, susceptible d'indisposer ou de froisser son interlocuteur. Il est le roi des faux-fuyants, du clair obscur. Les occidentaux qualifient cette approche de froideur et considèrent souvent les asiatiques comme dénués de sentiments. Rien n'est plus faux. En fait dans l'esprit d'un Nippon, il est indélicat d'imposer à autrui son tempérament, ses joies, ses soucis: il s'agit en réalité de sa conception de la courtoisie. Le Japonais n'est nullement démonstratif, c'est non seulement une sorte de pudeur mais aussi un trait marquant de sa mentalité introvertie. Autre exemple de cette courtoisie: l'inexistence dans la langue nipponne du refus ou de la négation. On les remplace par des "oui, mais", des "peut-être"... "Si vous invitez un soir un Japonais à dîner chez vous, il y a de fortes chances pour que la réponse soit du style: " oui, j'ai l'intention d'être des vôtres, cependant il est possible que des obligations viennent contrecarrer mes projets, ce qui me priverait du très grand plaisir..."; en fait ces propos tenaient lieu de refus et la personne n'avait nullement l'intention d'accepter l'invitation. De même, lors de la capitulation du Japon en 1945, aucun document nippon n'a mentionné un seul vocable péjoratif. Le terme reddition a été traduit par les mots "arrêt de notre action", Shinchugun (armée hors de ses bases) désignait les occupants américains. La langue japonaise induit une dichotomie entre ce que l'on peut exprimer à l'autre et ce qu'on pense dans son for intérieur: c'est ainsi que se développa l'art de dire sans dire. Si pour un occidental en général, le langage sert à la communication, les mots ont un sens défini et ne débordent que peu de leurs limites. Pour les Japonais il n'est pas qu'un intermédiaire entre soi et l'autre, le mot a un corps, un esprit, il respire. C'est pourquoi le Japonais, consciemment ou non, est entraîné à écouter le silence. Sur l'archipel, il n'existe pas de blagues orales tel qu'on le conçoit chez nous; ce sont les ruptures de tons, le non sens, le sens du gag, qui fondent l'humour japonais. |